Introduction à
sa pensée
Colloque 2014: Un souffle innovateur est-il possible dans l’histoire?

 

Analyse et commentaires de l'article "Dialectique de l'autorité" de Bernard Lonergan

Pierre Robert

Mon intervention au Colloque a consisté en une analyse de l'article "Dialectic of Authority", assortie de commentaires, sous une forme se rapprochant du séminaire de recherche1. Cet article de Lonergan date de 1974, soit deux ans après la publication de Method in Theology. On y retrouve les catégories mises en place dans cet ouvrage central2.

On peut dire que l'article se divise en deux parties principales, la première traitant de l'autorité et la seconde, de la dialectique. Dans la première partie, Lonergan met en place et relie entre elles plusieurs catégories importantes. Dans la seconde il considère les tensions qui peuvent s'y retrouver et la dialectique qui en résulte. Voici les grandes lignes de cet article.

L' autorité , dit-il, est le pouvoir légitime . Mais d'abord qu'est-ce que le pouvoir? Le pouvoir a sa source dans la coopération . Or cette coopération est double, celle d'individus qui se regroupent, puis du regroupement de groupes, de telle sorte qu'apparaisse une communauté (une société). Le pouvoir en est accru. Cette communauté se continue en passant d'une génération à l'autre, si bien qu'on a une communauté historique.

Une communauté est davantage qu'un agrégat d'individus partageant un même territoire. Elle suppose, bien sûr, un territoire commun, mais aussi des façons communes de comprendre, des jugements et des objectifs communs.

Cette communauté se donne des institutions et des individus qui la prennent en charge en respectant ces institutions. Ce sont eux qui exercent le pouvoir. Il y a l' autorité et les autorités , L'autorité de base appartient à la communauté, laquelle est le porteur des compréhensions et des valeurs communes. Celles-ci peuvent être authentiques ou inauthentiques. Si bien que c'est fondamentalement l' authenticité qui rend le pouvoir légitime ; c'est à elle que l'autorité doit son aura et son prestige, tandis que l'inauthenticité laisse le pouvoir à nu, le faisant apparaître comme pur pouvoir.

On en vient ainsi à la dialectique . Elle concerne le concret, le dynamique et le contradictoire. Le texte considère ainsi les différentes situations concrètes, qui sont un mixte d'authenticité et d'inauthenticité. Comment s'y retrouver? Lonergan propose d'adopter un point de vue plus synthétique, en employant les catégories de progrès et de déclin.

Le progrès est le fruit de l'authenticité dans la mesure où celle-ci réside dans la capacité d'affronter les questions, d'y apporter des réponses et de se conduire en conséquence. Tandis que l'inauthenticité, refusant de se poser les questions, se fermant les yeux et continuant sur l'air d'aller est source de déclin. La communauté qui refuse d'avancer se dégrade, ce qui entraîne l'effondrement de la coopération .

Quelle solution apporter à cette dégradation? La véritable solution, d'après Lonergan, consiste dans la rédemption . Aux catégories de progrès et de déclin, s'ajoute celle de rédemption. Son principe est l'amour oblatif, l'amour qui se dépasse et se sacrifie, absorbant le mal et rendant du bien (self-sacrificing love ). Cet amour s'installant au fond de la conscience peut réorienter son attention, ses compréhensions, ses jugements et ses décisions. Et ainsi remettre en marche la progression. Dans la tradition chrétienne, le modèle par excellence de cet amour est le Christ dans sa mort résurrection.

D'une façon plus générale on peut se référer aux idéaux-types d'Arnold Toynbee. La minorité créatrice est le porteur de ce souffle nouveau dans l'histoire. Elle a observé les situations nouvelles, elle a cherché et apporte des réponses fraîches. Elle est la représentante du progrès, tandis que la minorité dominante est la représentation du déclin.

La légitimité de l'autorité a été placée dans son authenticité, mais reste la question de la légitimation . Celle-ci a été assurée de différentes manières au cours de l'histoire: par les mythes et les rituels dans les sociétés primitives; par la loi dans les grandes civilisations anciennes, laquelle est exprimée dans des codes; constatant la diversité des lois, des philosophes ont cherché les principes qui sous-tendaient ces lois.

Mais tout ceci est insuffisant. Il y a la légitimité externe, assurée par les codes, mais celle-ci ne suffit pas, il faut inclure un critère interne qui est l'authenticité, Or comme l'authenticité est toujours précaire, tant chez les individus, les groupes, les autorités et les institutions, il en résulte une dialectique . Telle est donc la dialectique concrète de l'autorité.

Elle est bien exprimée par les catégories d' organisationnel et de mystique (Luigi Sturzo). L'organisationnel tend à sa conservation tandis que le mystique est le souffle de renouveau. Concrètement les deux sont entremêlés, se rapprochant pour se séparer à nouveau. Le conflit fondamental est le conflit entre l'idéal et ses toujours partielles réalisations, entre la lettre qui tue et l'Esprit qui vivifie. On peut comprendre ainsi la tension entre l'État et l'Église — tout en remarquant que les deux se retrouvent aussi dans l'Église.

En somme, Lonergan expose et relie entre elles les catégories de pouvoir, d’autorité, de coopération, de communauté, d'institution, de légitimité et d’authenticité (d’amour oblatif religieux et de minorité créatrice) dans un cadre hautement théorique susceptible de différentes applications. C’est l’authenticité qui rend le pouvoir légitime. Et la dialectique résulte du mixte d'authenticité et d'inauthenticité qui caractérise les situations concrètes.


1 L'Esprit peut-il rénover la politique? (ou) Un souffle innovateur est-il possible dans l'histoire? , Quatrième colloque Lonergan, samedi 3 mai 2014.

2 Article publié dans A Third Collection en 1985.



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